Foule sentimentale I

-Les enfants, préparez vos sacs, je vous emmène à l'école!

-J'ai pas envie d'y aller... Ca fait chier!

-Parle pas comme ça je te l'ai déjà dit.

-Pfff t'as raison... De toute façon je m'en fouts de l'école... C'est pour les nuls!

Virginie ne savait pas quoi répondre. Tous les jours, c'était le même rituel. Il fallait réveiller tout ce petit monde pour ne pas que la journée soit loupée. Mathieu détestait entendre sa mère le sermoner... Son petit frère, Antoine, était plus calme, plus docile. A l'école ça marchait pas mal, sauf quand son grand frère le poussait à sortir avec ses copains.

Son mari, Arnaud, passait ses journées au travail sans se soucier d'elle. Il était directeur commercial dans une boîte qui vend des micro-processeurs. Elle avait l'impression de devoir lutter tous les jours pour que ça tourne comme il faut. Elle se sentait seule... Personne pour l'écouter, pour entendre ses cris, pour la serrer... C'était comme si elle était devenue asexuée aux yeux de son mari. Les seuls fois où ils faisaient l'amour, elle avait toujours cet arrière-goût de quelque chose de machinal et de profondément désincarné. Quand il rentrait le soir, elle avait droit à un regard en passe-muraille et d'un petit bisous sur la joue.

Tous les jours c'était le même tableau, la même scène, la même saveur...

Cinq ans que Virginie avait arrêté sa profession; cinq ans qu'elle se dévouait corps et âme pour que tout ça tienne.

 ... 

-Putain... Je sais plus où j'en suis... Mais qu'est ce que je fais bordel de merde!

Elle était arrêtée sur le bord de la route. Le moteur tournait encore. Impossible d'aller plus loin; l'émotion était trop forte.

-Pourquoi...? Pourquoi nom de Dieu...?! Pourquoi je ne suis pas heureuse?!

Elle tourna la clé et coupa le moteur. Elle s'affaissa sur le volant; prise de spasmes violents.

-Je n'en peux plus... Je veux plus de tout ça...!

Elle pleurait comme elle n'avait pas pleuré depuis des années. 

-J'ai tout pourtant... J'ai tout ce que j'ai toujours souhaité... Mais qu'est ce qui va pas Virginie? Réveille-toi!

Après de longues minutes, elle décida de repartir. Arrivée à la maison, elle n'avait qu'une seule envie; s'écrouler dans son lit et ne plus penser. Sur la table de nuit, il y avait des somnifères. Elle prit trois gélules avec un verre d'eau et glissa sous sa couette encore chaude. Le téléphone sonna à plusieurs reprises. Elle ne répondit pas. 

Vers une heure de l'après-midi, elle se réveilla; les yeux gonflés de chagrin. Elle regardait le plafond. C'était comme si tout avait perdu son sens, comme si tout était devenu incertain et imprévisible. Elle avait la sensation d'être vidée de l'intérieur... Elle avait peur d'elle même, de ce qu'elle ressentait, de ce qu'elle n'arrivait pas dire... Son mari ne comprendrait pas, la prendrait pour une folle, la mépriserait. Elle ne voulait pas que cela se sache. Quand il y avait des amis, il fallait qu'elle paraîsse heureuse pour ne laisser traîner aucun soupçon. 

A vingt-cinq ans, elle pensait qu'avoir un mari et une famille était la seule chose au monde qui pouvait la combler. Quand elle rencontra Arnaud, elle était folle d'amour. Lui l'était aussi, mais pas de la même façon. Elle imaginait qu'elle serait comblée pour le restant de sa vie, qu'avec un peu de courage et de volonté son couple traverserait toutes les épreuves de la vie.

Au début, elle adorait faire l'amour avec Arnaud. Il la menait à l'extase sans trop de difficulté. Elle se laissait aller, porter et guider sur le chemin du plaisir. Depuis la naissance d'Antoine, elle ne se sentait plus femme. Elle imaginait son corps se ramollir au point  de devenir indésirable. Elle croyait passer au second plan, celui des femmes mûres qui ont enfanté et perdu leur jeunesse.

Elle se sentait déprimée. Elle devait agir; et vite! C'était la seule solution, le seul remède à son mal-être...